Le lavabo, évier de nos salles d'eau.
Si, d’après le philosophe télévisuel, il est bô le lavabo, qu’en est-il de l’évier reclus dans la cuisine ? L’un ou l’autre de ces vocables peut-il être indistinctement utilisé pour décrire un meuble utilitaire alimenté par des robinets et muni d’un dispositif de vidange ?
Autrement dit, le lavabo devrait-il se cantonner à la salle de bains, et l’évier se réserver à toute autre pièce (cuisine bien sûr, mais aussi atelier, laboratoire, etc.) ? Voilà qui mérite une petite confrontation sémantique entre évier et lavabo où l’on découvrira que la distinction, selon la pièce où ils se situent, est très récente.
L’étymologie de « lavabo » est on ne peut plus simple puisqu’il s’agit de la première personne du singulier de la conjugaison du verbe latin lavare au futur de l’indicatif (et dont la troisième personne du singulier a fait tordre de rire des générations d’élèves). Ce qui donne, en bon français : Je laverai.
Une histoire liturgique
Avant que le concile Vatican II, au milieu des années 60, n’autorise l’usage des langues vernaculaires pour dire la messe, la totalité de la liturgie s’exprimait en latin. Ainsi, après la cérémonie de l’offertoire (et, à une certaine époque, les offrandes alimentaires étaient nombreuses !) la prière eucharistique était-elle précédée d’un lavage des mains du prêtre, une ablution devenue évidemment symbolique au fil du temps, mais qui resta sous l’appellation « lavabo » en référence au psaume (26,6-7 ou 25, 6-7 selon qu’il s’agit de la version de la Vulgate ou celle de saint Jérôme traduite de l’hébreu) : lavabo inter innocentes manus meas, et circumdabo altare tuum, Domine, Ut audia vocem laudis, Et enarrem universa mirabilia tua ; ce que la liturgie actuelle traduit par :
« Je lave mes mains dans l'innocence, et j'approche ton autel, Seigneur, pour faire entendre une voix de louange; et raconter toutes tes merveilles ».
Des sens multiples.
A noter que, par métonymie, on appelle également « lavabo » le linge sur lequel s’essuie le prêtre ainsi que le carton d’autel, à côté de l’épître, qui présente les versets du psaume afférent. De là à ce que « lavabo » désigne la vasque réservée au lavage des mains du prêtre puis aux ablutions plus ou moins sacramentelles des maisons nobles et des monastères, il n’y avait qu’un pas, évident, à franchir.
Les progrès de la plomberie aidant, on en fit un meuble comportant une cuvette surmontée de robinets et disposant d’un système de vidange. Un meuble qui, toujours par métonymie, désigna aussi la salle de bains, puis par euphémisme, les toilettes : d’où l ‘expression « aller aux lavabos », une locution que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître a priori, l’usage s’en étant perdu ces dernières décennies.
De la même façon, on appelait également « lavabos » la salle de bains collective d’un bâtiment (militaire ou de colonie de vacances.), faisant ainsi référence aux fontaines en pierre qu’on trouvait dans la plupart des cloîtres de religieux, sorte de vasque percée de nombreux petits orifices et destinée aux ablutions avant l’entrée au réfectoire.
L’évier
Etymologiquement, et aussi incroyable que cela puisse paraître, le mot provient du latin ordinaire aquarium (qui a rapport avec l’eau) en passant par « euwier » attesté dès le XIIIe siècle. Une longue suite de variations qui passent de aquaire à aiguier puis à aivier ; tout en sachant que aqua donnera en vieux français, ewe et ève (qui signifie aussi bien « eau » que « jument ») se rapprochant ainsi de notre fameux évier actuel. Ouf !
Jusqu’au XVIIIe siècle, le vocable « évier » décrit la simple rigole qui conduit les eaux usées hors de la maison ; une petite tranchée qui se trouve au sol ou à l’extrémité d’une vasque en pierre, et qui donne sur l’extérieur de la maison en faisant saillie sur le mur ou grâce à une gargouille. Ce pouvait être aussi un canal de pierre dans une cour, le long d’une allée, toujours à des fins d’égout.
Un doute bien récent.
Donc, si vous avez bien lu ce qui précède, il ne saurait y avoir confusion entre les deux vocables : le lavabo réservé aux ablutions et l’évier destiné à l’évacuation des eaux usées d’autant que si le premier est d’usage antédiluvien, le second reste récent, du moins dans son acception actuelle (XVIIe siècle).
A noter que, dans le langage courant, nos amis américains ne font guère de différence et appellent indistinctement « sink » le lavabo et l’évier même si les plus lettrés n’hésiteront pas à parler de wash basin ou de hand basin.
De toutes façons, vous aurez compris qu’avant ces dernières décennies, ces deux termes ne concernaient guère les humbles, l’usage des deux meubles étant réservé aux riches d’une part et aux religieux d’autre part, l’un n’excluant pas l’autre évidemment.
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