L’architecte, un simple maître d’œuvre ?
Aujourd’hui la construction dépend de techniques tellement évoluées qu’on en oublie parfois que l’architecture est un art et, corollaire, que les architectes sont avant tout des artistes !
Et même si de nombreux Français se méfient des maisons dites « d’architecte », oubliant par là-même l’acte de création inhérent à la profession, il n’en demeure pas moins que sans ces innovateurs nous en serions encore à la cahute cubique. Pourtant, le métier d’architecte n’a pas toujours répondu à une même définition, que ce soit d’un point de vue professionnel ou social.
Et comment résister à citer la définition de l’Académie française, dès son premier dictionnaire en 1694 ? Architecte : celui qui fait, qui exerce l’art de bâtir, mais surtout son exemple, éclairant, certes, mais surtout désagréable pour l’ouvrier : Ce n’est pas un architecte, ce n’est qu’un maçon ! On ne saurait mieux dire.
Le grand architecte
Même si le christianisme, apparemment sous l’influence de Tertillien, ce théologien romain converti, reconnaît Dieu comme le grand architecte, imitant en cela les Egyptiens et leur dieu du soleil, Râ, mais plagié quelques millénaires plus tard par les francs-maçons qui parlent du grand architecte de l’univers, le vocable est directement emprunté au latin architectus qui recouvre une réalité bien plus prosaïque : il s’agit d’un homme qui trace des plans et contrôle la construction de bâtiments. Les Romains, suivant en cela les Grecs et leur arkhitektôn, en font d’abord un maître charpentier (tectum, c’est le toit et par extension la maison) en chef (archi, c’est premier) puis un ingénieur.
Une profession peu prestigieuse.
Mais dans l’Antiquité, faisait-on vraiment la différence entre le constructeur et l’architecte ? Ce dernier n’étant visiblement pas à l’écart des entrepreneurs et maîtres ouvriers, pourvu d’un rôle extrêmement pratique sur le terrain, responsable du chantier et du savoir-faire des maîtres charpentiers, maçons ou tailleurs de pierres. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire aujourd’hui, la profession n’était guère valorisante, parfois même méprisée comme tous les métiers manuels (rien de nouveau sous le soleil, apparemment). D’autant qu’à l’image de la plupart des intervenants dans le bâtiment, les architectes étaient esclaves, au mieux affranchis, au service de particuliers ou d’établissements publics.
Un métier divers.
En France, au Moyen-Age, l’acception actuelle du vocable n’existait pas. L’architecte était appelé maître d’œuvre, un rôle souvent dévolu au maître maçon qui dirigeait alors les autres corps de métier, même si le plus souvent chaque corporation prenait mandat directement auprès du client. Mais il pouvait être également un clerc (religieux) comptable ou un laïc alors chargé des fonds et du contrôle des ouvriers. Sans compter que certains se formaient sur le tas, parfois même illettrés, avec un simple un rôle de surveillance.
Alors que faisait exactement ce maître d’œuvre, ancêtre de notre architecte ? Les plans, à l’évidence, la direction de la construction assurément, mais avait-il forcément en charge la gestion des fonds ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il qu’au XVe siècle, il perd peu à peu ce rôle pour acquérir celui qu’on lui connaît aujourd’hui.
L’artiste prend le pas.
En effet, grâce à la Renaissance, l’architecte français a acquis une vraie culture, aristocratique ou bourgeoise, s’inspirant des créateurs italiens davantage théoriciens que praticiens. Ce que reconnaîtra implicitement Colbert qui créa l’Académie royale en 1671 (et que la Révolution s’emploiera à défaire) afin de pourvoir une corporation d’architectes qui s’autocontrôle à l’image des autres guildes du bâtiment. Ce qui ne se fit pas sans peine.
D’ailleurs, au XVIIIe siècle, c’étaient surtout des entrepreneurs qui construisaient et la profession d’architecte connut alors une véritable désuétude. Ce furent les technologies nouvelles, une centaine d’années plus tard, qui remirent la profession au goût du jour.
La profession s’organise.
Tout au long du XXe siècle, les architectes tentèrent de se forger une place reconnue, et surtout non disputée, représentants d’une véritable profession distincte des autres métiers du bâtiment et surtout de l’entrepreneur. Une volonté d’institutionnalisation qui aboutira, à grand peine, à un ordre imaginé à la fin du XIXe siècle mais qui ne verra le jour que sous le gouvernement de Vichy, par des architectes davantage soucieux de protéger leur titre que leur pratique d’ailleurs. Avant de connaître une réforme enfin moderne, soucieuse de l’art et des techniques, successivement en 1977 et 2006.